Escalade9 : Salut David, peux tu te présenter en quelques mots?
David : Je m'appelle David, j'ai 23 ans et j'ai grandi à Hanovre dans le nord de l'Allemagne, jusqu'à ce que je migre plus au sud et partage mon temps entre deux lieux, Munich en Allemagne, et Zurich en Suisse. Ainsi, je peux plus facilement mener de front mes études de psychologie, sociologie et philosophie et l'escalade. Je suis proche des Alpes et ai un accès facile aux falaises et aux montagnes.
Après une phase d'études intensives et des examens à l'université de Zurich, je veux maintenant me recentrer sur la compétition et l’entraînement à Munich. Cela passe par du bloc, de l'escalade de difficulté, ainsi que de la vitesse, pour être en phase avec le format olympique et les qualifications pour Tokyo l'année prochaine. L'escalade en rocher m'aide en ce moment à être dans la démarche d'un entraînement intense.
Pour revenir à l'escalade, j'aime sa variété et la liberté qui y est associée. J'adore la complexité des mouvements rencontrés, et ressens beaucoup de joie à évoluer à la verticale. J'ai toujours aimé combiner l'escalade et les voyages autour du monde, mais aussi partager du temps avec mes amis et ma famille lorsque je trouve le temps. Voilà, c'est varié et coloré, et j'aime réellement ce que je fais.
Escalade9 : Comment es tu arrivé à l'escalade? J'ai l'impression que, avec ton frère Ruben, c'est une histoire de famille.
David Firnenburg dans "La Reina Mora" - Photo: Jon Cardwell - Source: Facebook de David
David : J'ai commencé à grimper en 2001 quand j'avais 6 ans, du côté italien du Lac Majeur, sur le petit site de Maccagno, avec ma sœur Louisa et mon frère Ruben. Nous avions demandé à notre père de nous initier.
Mais avant de grimper réellement en rocher à Maccagno, nous randonnions beaucoup en famille et avec des amis sur les montagnes environnantes. Tous les étés, nous allions à Ticino, en Lombardie, dans le Piémont ou même dans le Valais depuis le nord de l'Allemagne pour passer les vacances en montagne. Par exemple, alors que nous avions déjà gravi les sommets les plus hauts de Ticino, comme le Rheinwaldhorn, le Basodino, le Piz Terri, le Pizzo campo tencia a.s.o, et alors que j'avais 9 ans et Ruben 7 ans, nous avons réalisé avec notre père une course depuis le Hohlaub jusqu'au Allalinhorn dans le Valais suisse. Ainsi, nous avons réussi un sommet enneigé à plus de 4000m, ce qui a été une expérience mémorable pour nous. Je me sentais “le roi du monde”, si jeune là haut!
Tout petits, chaque fois que nous randonnions, nous grimpions sur les rochers que nous rencontrions le long du chemin, un peu comme des bouquetins. Le désir de grimper à la verticale, et non plus de marcher seulement à l'horizontale nous est venu vraiment naturellement. Nous le faisions sans arrière pensée, juste contents d'évoluer comme nous le souhaitions. Marcher sur le chemin devenait ennuyeux et nous recherchions des challenges de plus en plus difficiles. Nous étions un peu rebelles, mais heureusement, notre père nous a appris comment utiliser les équipements d'escalade et comment nous assurer. Et finalement, nous avons aterri sur la falaise de Maccagno et depuis, nous n'avons jamais perdu notre passion de l'escalade.Je pense qu'elle va rester en nous jusqu'à nos vieux jours.
Escalade9 : Tu as réussi beaucoup de voies dures au Frankenjura. Peux tu nous parler de cette région?
David : Grimper des voies dures sur le calcaire du Frankenjura est souvent une action courte et sollicitant les doigts. La structure du rocher offre principalement des réglettes et des trous, et quand tu essaies des voies dures, les préhensions deviennent plus petites et tu te retrouves très vite sur des monodoigts ou des bidoigts. Tu peux imaginer dans quel état se retrouvent tes doigts après une journée à tirer sur ces petites prises. C'est bon pour acquérir de la force dans les doigts, mais tu dois régulièrement leur laisser du repos. Habituellement, les voies font entre 10 et 15m, mais elles peuvent être un peu plus longues dans certains secteurs. Le Frankenjura est un petit massif avec beaucoup de vallées, de rivières et de villages, et les rochers y sont très dispersés. Il n'y a pas de grandes falaises comme Ceüse par exemple. C'est sympa de se balader en forêt et de se retrouver d'un seul coup face à une falaise, une grotte ou un petit rocher jusque là invisible car masqué par les arbres. Tu peux trouver des secteurs très fréquentés, mais il y a toujours possibilité de trouver des coins où tu seras seul. Les locaux, les « Franken », sont accueillants et sympathiques, même s'ils sont parfois un peu rustres. Ils aiment finir leur journée d'escalade au bar, un « Keller », avec une bière locale et un plat copieux bien riche en viande. Mais tu ne peux pas grimper tous les jours au Frankenjura, sans quoi tes doigts ne s'en remettraient pas.
David Firnenburg dans "Action Directe" - Photo: Lars Scharl - Source: Instagram de David
Escalade9 : Cependant, ton 1er 9a, Era Vella, se trouve à Margalef. Qu'as tu ressenti quand tu as réussi cette voie?
David : Ça a été un sentiment indescriptible. J'ai ressenti une grand fierté, d'autant plus que j'avais investi beaucoup de temps et de travail dans cette voie. Réussir mon 1er 9a a été un immense palier et le passage dans une nouvelle dimension. J'ai reçu beaucoup de retours positifs de la part de nombreuses personnes. Je savais que ce n'était que le commencement d'une histoire, et que j'allais repousser mes limites encore plus loin à l'avenir. J'avais 15 ans, et j'étais devenu le plus jeune allemand, et un des plus jeunes grimpeurs du monde à atteindre ce niveau. Rétrospectivement, je suis encore surpris de la volonté que j'avais déjà de repousser mes limites, et je pense que cette période m'a beaucoup appris au niveau psychologique, à ne jamais abandonner, et à se prouver à soi même que l'on peut atteindre des objectifs ambitieux avec de la volonté, de la ténacité et de la patience.
Escalade9 : Une de tes ascensions les plus marquantes est Action Directe, peux tu nous parler de cette voie?
David : Action Directe est probablement la voie la plus connue du monde, et le rêve de tout grimpeur capable d'évoluer à ce niveau. Presque tous les grimpeurs ont déjà vu une vidéo de cette voie, et connaissent Wolfgang Güllich, le premier ascensionniste et légende de l'escalade, malheureusement mort dans un accident de voiture dans les années 90. Je connaissais toute l'histoire et attendais le bon moment, celui où je serai assez fort, pour tenter cette voie. La première fois que je l'ai essayée, je l'ai trouvée dure mais faisable. C'est un mélange de mouvement puissants dynamiques et statiques, sur petits trous et réglettes, avec un long mouve bien vicieux à la toute fin, qui m'a résisté un dizaine de fois avant que je réussisse la voie. Je savais dès le départ que je devrais m'entraîner au maximum de mes capacités physiques et Action Directe a été une parfaite motivation pour cela. Concrètement, j'ai travaillé la voie, me suis fais rousté, ai quitté le Frankenjura sans aucune croix en poche, puis suis revenu, l'ai essayée plus durement que jamais, et l'ai finalement réussie en 2016. Un rêve est devenu réalité, et maintenant, je retiens un investissement intense et intéressant duquel j'ai beaucoup appris. Action Directe est et sera toujours une des ascensions dont je suis le plus fier. N'oublions pas que dans les années 90, des gars comme Güllich étaient des visionnaires et ont donné une nouvelle dimension a l'escalade en repoussant les limites de ce qui était possible à l'époque. Action Directe est un vrai monument de l'escalade !
Escalade9 : Peux tu nous décrire ton entraînement?
David : Je m'entraîne 7 à 8 fois par semaine, sur 5 jours. Je garde 2 jours de repos pendant lesquels je fais du cardio, du stretching, et des exercices de musculation. Si tu tiens compte de tout, je pratique du sport tous les jours de la semaines, répartis en 8 ou 9 sessions, pour un ensemble de 20 à 25h, en fonction des périodes. J'ai un plan d'entraînement et me fixe un calendrier. Je fais des bilans de performance et analyse mes résultats en compétition. Mon frère est mon partenaire d'entraînement habituel. On travaille avec différents coachs, physiothérapeutes et médecins. J'aime travailler mes points faibles et renforcer mes points forts. J'essaie toujours d'avoir un programme varié et non monotone, parce que tu ne peux pas gagner une compétition internationale en n'étant fort que dans un domaine. Et pour les jeux olympiques, tu devras être fort partout, puisqu'il aura 3 disciplines en même temps. Je ne m'entraîne pas spécifiquement pour mes projets en falaises, mais quand je m'entraîne beaucoup en salle, je suis aussi bon en rocher.
Escalade9 : Voies en 9a+, blocs en 8B+. Quelle sera la prochaine étape?
David : D'autres 9a+, et des 8C blocs bien sûr. Je pense que je suis capable de grimper même des choses plus dures. Le temps nous le dira. Grimper un 9b pourrait être un des prochain palier que j'essaierai d'atteindre.
Escalade9 : Quelle est la voie qui te fait rêver?
David : Je rêve de tant de voies tout autour de la Terre, mais je sais que je ne pourrai pas toutes les grimper. La vie est trop courte !
Les voies dont je rêve sont toujours esthétiques, dures, et situées dans des endroits uniques. Elles sont souvent des classiques, comme « Dreamcatcher » à Squamich, « Es Pontas » à Majorque, « Biographie » et « Three Degrees of Separation » à Ceüse, « First Round First Minute » à Margalef, « Fight or Flight » à Oliana, « Move » et « Valhalla » à Flatanger, et beaucoup, beaucoup d'autres...
Escalade9 : Et la plus belle que tu aies faite?
David : C'est difficile d'en sélectionner une seule. J'ai grimpé beaucoup de belles lignes, mais si je dois en choisir 3, « La Perla », 8b+, à Margalef, « Valkyrie », 8c, à Flatanger et « Bitkas Stalaktiti », 8b à Osp seraient sur la liste. Cependant, choisir une voie comme étant la plus belle serait injuste tant il y a d'autres superbes escalades ailleurs. Il n'y a pas une seule « King Line ».
Escalade9 : Quel est ton plus bel échec en escalade?
David : De nombreuses voies ont été de véritables défis pour moi. Par exemple « La Fabela pa la Enmienda », 9a de Santa Linya. Pendant deux semaines, je tombais toujours au même mouvement. Il n'y avait aucune progression, même quand j'essayais d'optimiser mon escalade et de tout donner à chaque essai. Cependant, j'ai quand même fini par enchaîner la voie.
Mais il y a beaucoup de voies que j'ai essayées sans succès. La plupart parce que j'ai rapidement réalisé qu'elles étaient trop dures pour moi, et que je devrai revenir quand je serai plus fort. Mais je le vois assez vite et décide rapidement, en général après les premiers essais, de passer à autre chose. Je ne perds donc pas trop de temps lors de mes trips d'escalade. Je n'ai pas de voie en tête dans lesquelles je me suis battu sur une longue période sans réussir. En général, quand je me consacre longuement à un projet, il finit par tomber. Cela n'a jamais duré plus de deux semaines. Je suppose que je n'ai pas essayé de voies assez difficiles et que je n'ai pas encore atteint mes limites. C'est quelque chose de motivant !
Escalade9 : Quels sont les grimpeurs qui t'inspirent ou que tu voudrais remercier?
David : Je n'ai pas vraiment d'idoles dans lesquelles je m'identifie. J'aime regarder les autres grimpeurs. Quand je vois quelqu'un qui m'inspire, ou dont je pense que je pourrais apprendre de lui ou de son style d'escalade – par exemple la pose de pieds, la coordination, ou la force – je l'ajoute à mes réflexions sur ma façon de m'entraîner afin d'élargir mon répertoire. Basiquement, c'est apprendre des uns ou des autres en échangeant avec eux. Mes échanges les plus intenses se tiennent avec mon frère Ruben, et je suis très heureux de l'avoir à mes côtés.
Par ailleurs, à travers les voyages sur différentes falaises et les compétitions internationales, je suis au contact de tant de très forts grimpeurs aux expériences et aux approches différentes que je bénéficie d'échanges et de retours de nombreuses personnes. C'est un super côté de l'escalade.
David Firnenburg dans "La Rambla" - Photo: Juliet Leonova - Source: Instagram de David
Escalade9 : Autre chose à ajouter?
David : Escalade9 est un site d'informations très utile. J'y cherche souvent des sites et des voies pour trouver mes nouveaux projets. Merci et continue ton super travail !
Vous pouvez retrouver les frères Firnenburg sur leur site web http://www.firnenburgbrothers.com,
Facebook: https://www.facebook.com/Firnenburg
Instagram: https://www.instagram.com/firnenburgbrothers/
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David est soutenu par Deutsche Sporthilfe, Scarpa, Neprosport, Friction Labs, Escaladrome, Haglöfs et DAV Sektion Rheinland-Köln.